Le cru et le cuit

C’est Claude Lévi-Strauss, anthropologue, chercheur et maître à penser de toute une brigade de jeunes chercheurs, anthropologues, sociologues et … cinéastes dont je suis, de toute évidence, qui nous explique que nous sommes non seulement ce que nous mangeons, mais que nous sommes aussi reflet de la manière de ce que nous mangeons. Il utilise donc notre rapport à la nourriture pour expliquer symboliquement notre interaction sociale. Il développe pour ce faire le concept du «triangle culinaire»: il utilise les notions du cru, du cuit et du pourri, pour jeter un regard neuf sur les relations que l’homme entretien avec ses semblables. On aura compris que le cru est près de la nature, de l’individu et de son unicité alors que le cuit est symbolique du feu, d’un rapport de groupe, tribal, grégaire et donc, culturel.

Considérant le cuit, il fera des distinctions entre le rôti et le bouilli, distinctions qui symboliquement, expriment clairement la manière de notre rapport à l’autre: le rôti, c’est le barbecue de l’été, c’est souvent, du moins dans notre société, l’apanage de l’homme, du chasseur, d’un individu qui impressionne la galerie avec le produit de sa chasse; le chasseur, de retour de la boucherie avec quelques gros rib-steaks, se penche au-dessus de son feu en stainless steel, et émerveille la tribu en les invitants à un plaisir qui transgresse presque la notion de groupe: on mange en grognant d’un plaisir à la fois partagé mais aussi individuel, un plaisir qui chatouille du fond des âges notre cerveau reptilien; il reste du cru au centre de ce rôti: qu’on me serve ce steak bien saignant!!!

Le repas bouilli, quant à lui, est une invitation toute maternelle à se rassembler autour de la table et de partager les fruits de la récolte en un moment presque sacré où, non seulement on nourrira le corps, mais l’âme aussi; manger en groupe et échanger sera à ce moment tout aussi important que ce qui a dans l’assiette, c’est un geste culturel, c’est un repas qui uni, qui nous fait prendre conscience de notre appartenance à un groupe, à une famille; cette nourriture fait du bien, on dira de la bouffe de maman

Philippe, le fils de mon ami Daniel, a eu une enfance assez difficile: aux prises avec une maladie qui affecte sa vision, il fût envoyé dans des écoles de rattrapage avec des cas lourds, les agents du système étant de toute évidence incapable de penser hors de la boîte. Philippe s’est forgé tout un caractère; guide de rivière, c’est maintenant un jeune homme dans la fin vingtaine équipé de bonnes valeurs, mais un peu taciturne, un loup solitaire, le genre qui observe sans trop s’ouvrir aux autres. Alors que nous prenions tous place autour d’une même table pour un repas partagé à la fin d’une journée épuisante, une dizaine d’adultes dans la cinquantaine et Philippe, digne représentant de sa génération, le miracle du partage eu lieu, une fois de plus: avant la fin du repas, Philippe s’ouvrit lentement mais sûrement, conversant avec aisance avec des semblables du double de son âge…

Sortez le chaudron et préparez vos sauces, ragoût et spagates: l’automne est à nos portes pour nous rappeler à nos familles, à nos tribus, à notre humanité.

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4 commentaires pour Le cru et le cuit

  1. Robert henri dit :

    Bon texte . Une seule petite erreur, le cerveau reptilien n’existe pas.

  2. T’as raison Robert. J’ai mis en italique cet emploi familier…

  3. nathalie noel dit :

    La finale de ce texte est très cinématographique. Acteur-spectateur de ces « petits » drames de la vie, tu réussis à révéler des images fortes et à communiquer un espace-temps qui va bien au-delà des trois minutes que cela prend pour lire le texte. Toujours étonnant de constater comment, avec si peu de mots, tu remets en perspective les liens qui nous unis tous et place en suspens pour quelques instants, le sens profond de notre rapport à soi et à l’autre.

    • Yannick Belley dit :

      Exacte. J’ai peu de mots, peu d’aisance comme tu le fais à communiquer. Magnifique à lire. Ca fait du bien. Tu penses pour nous. Ton écriture me rappelle mes émotions lorsque je vol seul 10 000 pieds déconnecté du monde et totalement connecté sur le mystique. Tu me « plug » un instant sur des trucs de la vie importantes qu’on ne voit pas et qui le sont totalement quand tu le « dis »comme tu l’écris. Bin content de t’avoir dans mes amis. Très inspirant commandant aviateur et poète. St-Ex version Pierre Bastient. Ca te va bien l’aviation et les mots.

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