Dieu parle-t-il créole?

Après son arrestation par le Parti, Winston est emprisonné et torturé, perdant en route sa dignité, son identité et même la conscience de ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Il admettra ainsi sans difficulté que deux et deux font cinq; il y a des façons de faire croire l’impossible à un homme, une fois qu’il est brisé. Georges Orwell le démontre brillamment dans son classique 1984.

Il en est des nations comme des individus. Les nations soumises ou brisées, les nations en périls et les nations pauvres, toutes les républiques de bananes de ce monde ont en commun ce trait si humain: l’attente dans la ferveur de la figure du bon père, un Messie qui viendrait les extraire de la fange et leur apporter sinon la grâce, du moins la promesse d’un avenir meilleur. Nous avons eu droit à Maurice Richard et René Lévesque, les Américains viennent de vivre l’arrivée christique d’Obama; tous les pays du monde ont leur exemple propre, de Mao à Castro en passant par Chavez, toute une poutine…

Ayiti est un lieu où l’on est habitué au retour du Seigneur: du roi Christophe à Jean-Bertrand Aristide, pas un Duvalier qui ne fut acclamé tel un sauveur. Si ça ne marche pas, on jette le tout et on recommence, en laissant bien évidemment le larron s’enfuir avec la caisse, c’est là la moindre des choses, l’homme a servi le pays… À la suite de la catastrophe du 12 janvier dernier, c’est un pays exsangue, une nation à genoux qui implore les mains jointes le retour du fils de Dieu.

Voilà que se profile à l’horizon ce nouveau démiurge, déjà acclamé par les siens: on fête à Port-au-Prince le retour de l’enfant prodigue. Wyclef Jean, vêtu de ses plus beaux atours, debout sur une voiture, les bras en croix, harangue le peuple. Entouré d’hommes pour qui le pouvoir et son usage n’ont pas de secrets, Wyclef, auréolé de sa réussite musicale aux States, se présente en sauveur. Désespéré, même l’homme éduqué se prend au jeu, se met à y croire et entrevoit, le temps d’un discours, un petit bout du paradis.

Wyclef vient de s’inscrire à la prochaine présidentielle. Wyclef, qui ne connait strictement rien en politique, mais apprends rapidement, Wyclef, qui martèle démagogiquement le même discours que tous ceux qui sont passés avant lui: éducation, santé et sécurité, Wyclef dont l’organisation caritative a recueilli 9.5 millions  U.S. après le tremblement de terre et en a versé 1.5…  Wyclef sé Jésu mèm mèm…

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